mardi 24 mai 2011

DSK plus fort que Schwarzenegger | Maureen Dowd, NYT

Puissant et Primitif
La même semaine, le directeur du FMI et l'ancien gouverneur de Californie défraient la chronique pour des scandales sexuels : l'occasion était trop belle pour Maureen Dowd, la célèbre chroniqueuse du New York Times à la plume acérée.
Oh, elle en voulait, ça oui. Elles en veulent toutes, ces jeunes veuves émigrées qui travaillent dur dans la crainte de Dieu et s’usent à des tâches ménagères dans un hôtel de Times Square pour nourrir leur fille adolescente et profiter de la chance que leur offre l’Amérique. Voilà ce qu’elles aiment : qu’un vieux satyre ridé, délirant et en rut, se rue sur elles en jaillissant nu de sa salle de bains, qu’il les agrippe et les traîne à travers toute la pièce comme un homme des cavernes. Dominique Strauss-Kahn a une réputation de séducteur français qui en est à son troisième mariage, mais il semble que l’on soit loin du compte. Car, à en croire les déclarations de la victime – une femme de ménage de 32 ans originaire d’Afrique de l’Ouest –, ce qui s’est passé dans cette suite du Sofitel à 3 000 dollars la nuitée n’a pas eu grand-chose à voir avec la séduction. Si les allégations sont prouvées, le comportement de Strauss-Kahn, brutal et primaire, tient du viol.
Le directeur du Fonds monétaire international (FMI) était-il en train de défaire sa ceinture tout en disant à d’autres pays de se la serrer. Les avocats du Français de 62 ans, qui était jusque-là le socialiste le mieux placé contre Nicolas Sarkozy pour la présidentielle française de 2012, ont l’air disposés à rejeter toute preuve par l’ADN en affirmant qu’il aurait eu des relations mutuellement consenties avec la jeune femme venue nettoyer sa chambre. Iront-ils jusqu’à dire qu’elle s’est enflammée de désir quand elle a su que Strauss-Kahn avait été à Davos ? Jeffrey Shapiro, l’avocat de la victime, a réfuté cet argument avec colère, soulignant qu’il n’y avait eu "rien, absolument rien" de consenti quant au droit du monsieur*. "C’est une simple femme de ménage qui est entrée dans une chambre pour la nettoyer”, a expliqué Shapiro au New York Times. Pour lui, cette musulmane pratiquante du Bronx est “une jeune femme très convenable, digne” et “elle ne savait même pas qui était ce type” avant de l’apprendre dans les journaux.

En France, les partisans de Strauss-Kahn font circuler des théories du complot, qui font penser à celles des Pakistanais à propos de Ben Laden. Quelques-uns ont même laissé entendre que Strauss-Kahn avait été victime d’un piège tendu par les forces proches de Sarkozy. Bernard-Henri Lévy, un ami de l’accusé, se dit outré par la description de Strauss-Kahn comme une “bête insatiable et malfaisante”. Dans une chronique publiée sur son blog et reprise par le site d'information The Daily Beast, il a écrit : "Il serait bon que l'on puisse savoir sans tarder comment une femme de chambre aurait pu s'introduire seule, contrairement aux usages qui, dans la plupart des grands hôtels new-yorkais, prévoient des 'brigades de ménage' composées de deux personnes, dans la chambre d'un des personnages les plus surveillés de la planète".
Au moins, il a eu la décence de ne pas évoquer l'affaire Dreyfus. Des années durant, j’ai séjourné au Sofitel et dans d’autres hôtels de New York, et je n’y ai jamais vu de "brigades de nettoyage", uniquement des femmes de chambre seules. A Washington, on surnomme désormais la rue qui sépare le FMI de la Banque mondiale [en mai 2007, l'ancien directeur de la banque mondiale, Paul Wolfowitz, accusé de népotisme en faveur de sa compagne, avait été contraint de démissionner], le "boulevard du Mauvais-Comportement". Il s’agit des deux institutions qui ont la réputation de donner des leçons de discipline et de liberté au reste du monde, alors que c’est l’Occident qui est coupable d’imprudence et d’extravagance. D’abord dans le domaine financier, et ensuite dans le domaine sexuel. Des gens incapables de remonter leur braguette et qui donnent des leçons aux autres !
Alors que les Français dénoncent le système judiciaire américain – et les images de Strauss-Kahn menotté –, les Américains peuvent être fiers de ce jingle que l’on entend dans les épisodes de New York, unité spéciale,ce bruit qui annonce que justice sera rendue sans tenir compte de la richesse, de la classe ou des privilèges. Voilà de quoi avoir foi en l’Amérique, où une femme de chambre peut espérer être traitée dignement et être écoutée quand elle accuse un des hommes les plus puissants de la planète d’être un prédateur (accusation dont il a déjà fait l’objet, avec le même recours à la brutalité). La jeune femme a fui l’horreur qui règne dans sa Guinée natale, société patriarcale où le viol est une pratique courante et où il sert d’arme de guerre, un pays où on se serait débarrassé d'elle si elle avait essayé de s’attaquer à un homme de pouvoir. Ici, confrontée à l’horreur, elle a pu faire appel à la justice.
Un autre Européen célèbre qui présente une tendance troublante à l’agression sexuelle s’est retrouvé dans le collimateur cette semaine : l’ancien gouverneur de Californie – accusé de harcèlement et de comportement misogyne durant la campagne de 2003 pour l'élection au poste de gouverneur de Californie, il avait finalement été élu après que son épouse Maria Shriver l’avait défendu avec tant d’éloquence. Arnold Schwarzenegger a lui aussi été coupable d’avoir crûment affirmé sa puissance masculine. Plus qu’une simple affaire d’infidélité, "Sperminator" a été pris en flagrant délit de mensonge et de cochonnerie, ayant eu un fils avec une employée de maison parallèlement au moment où Maria accouchait de leur plus jeune fils, aujourd’hui âgé de 13 ans. Il a continué à verser un salaire à sa maîtresse, et aurait même fait venir chez lui cet enfant dont Maria ignorait l'histoire. Pas étonnant qu’elle ait fini par se réfugier dans un hôtel de Beverly Hills.
Nous sommes toujours fascinés à l’idée que des gens de la haute société puissent se comporter de façon aussi primaire. Mais la décence et la moralité n’ont rien à avoir avec l’éducation et le statut social. La leçon que nous enseignent ces deux grands déchus est la suivante : "Si vous voulez vous en prendre au petit personnel, assurez-vous d’abord qu’il est d’accord."
* En français dans le texte.

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