jeudi 26 mai 2011

DSK: Vous saurez tout sur la famille Diallo !

Sur les traces de Nafissatou Diallo

GUINÉE | Le rédacteur en chef de l'hebdomadaire local Le Lynx a été le premier à se rendre dans le village de Tchiakoullé, d'où est originaire Nafissatou Diallo, la femme de chambre qui accuse DSK. Voici le reportage publié le 23 mai dans son magazine et cité par beaucoup de médias étrangers.
photo de Nafissatou Diallo âgée de 22 ans
La femme de chambre du Sofitel de New York, Nafissatou Diallo, qui accuse Dominique Strauss-Kahn, l’ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI), de l’avoir violée, a vu le jour dans un petit hameau coincé entre monts et vaux, dans la préfecture de Lélouma [dans le massif montagneux du Fouta-Djalon, une région déshéritée du centre du pays]. Que d’acrobaties pour y arriver! Il faut braver une piste poussiéreuse et caillouteuse ici, montagneuse et inaccessible aux véhicules là. Ne parlez surtout pas de Moyen Age ! 

Le 19 mai [date à laquelle le rédacteur en chef du Lynx a effectué son reportage], des journalistes étaient sur les traces de Nafissatou. Boubacar Siddy Diallo, frère aîné de Nafis­satou Diallo nous a accueillis, nous a parlé à cœur ouvert de sa sœur. "Vous ne vous êtes pas trompés de chemin. Tchakulé est le seul village du Fouta-Djalon qui porte ce nom. Nafissa­tou est née dans la maison que vous voyez." Commence alors une visite de ce petit village paisible, coupé du monde. "Cette maison, à l’époque, était une case. Sa sœur Hassanatou Diallo, qui l’a fait venir aux Etats-Unis auprès d’elle, a démoli la case pour construire cette belle maison." 

Dans le hameau, sept maisons en dur, l’une équipée d’une antenne parabolique et de deux panneaux solaires. "Nous sommes isolés du monde, mais, grâce à cette antenne parabolique, nous suivons les championnats de football du monde entier. J’adore le football et plus particulièrement la Liga [le championnat d'Espagne]", lance Boubacar Sid­dy, comme pour impressionner. Bel homme, malgré les rides du visage. "Nous ne sommes pas riches, mais notre village est béni. C’est Dieu qui nous préserve ici", sourit-il. Au centre du village, une petite mosquée en construction. On remonte dans la maison où est née Nafissatou. Jolis meubles, grand salon, un couloir, deux chambres à coucher de chaque côté. Sur le mur, deux photos encadrées : deux doyens assis sur l’une, une très belle dame en tenue africaine sur la seconde. "C’est la photo de notre papa, l'autre est celle de Nafissatou Diallo, ma sœur", indique Boubacar Siddy Dial­lo, qui marque une pause et attaque l’histoire de Nafissatou Diallo. "Depuis sa tendre enfance, Nafissatou se distingue de ses copines. Elle ne parle pas beaucoup, aime travailler. Elle passait le plus clair de son temps à la vaisselle, au linge ou à l'entretien de la maison. C’est une solitaire, je dirais une marginale, qui ne s’intéresse pas au futile."

la maison de la famille Diallo
Boubacar Siddy ajoute que sa sœur a grandi dans la stricte culture musulmane de son Lélouma natal qui regorge d’érudits. A sa majorité, Nafissatou et son cousin, Abdoul Gadiri Diallo, décident de convoler en justes noces. Le mariage est célébré selon les rites du Fouta-Djalon. Nafissatou et son mari vivront ensemble des années. Ils auront une fillette. Gadiri tombe malade, puis décède. "Contrairement à ce que les gens racontent, ma sœur et son mari formaient un couple exemplaire. Ils s’aimaient beaucoup, étaient très pieux", tient à préciser Boubacar Siddy. Son mari enterré, Nafissatou décide de s’éloigner de Tchakulé pour oublier. Elle s’installe à la capitale, Cona­kry. Hassanatou Diallo, qui vit à New York, veut que sa sœur l’y rejoigne. Nafi obtient son visa. Boubacar Siddy Diallo raconte : "Elle est revenue ici radieuse. Elle m’a dit : 'Frère, j’ai mon visa pour les Etats-Unis. Je vais partir, mais je ne t’apporterai aucun cadeau, hein !' Elle éclate de rire. Nous étions contents pour elle. Moi, surtout, qui rêve d’aller aux Etats-Unis." 

Nafissatou Diallo quitte Tchakulé, un soir, après avoir dit au revoir à tous les siens. Ses parents restés à Tchakulé ne l’ont plus revue. "Elle n’a laissé aucune trace dans ce village. Nous, enfants de même père qu’elle, elle ne nous appelle pas, ne nous envoie pas d’argent, rien. Contrairement à sa sœur Hassa­natou qui pense à nous et qui a construit ici comme vous le voyez. Mais, cela n’est pas grave, l’essentiel pour nous est qu'elle se porte bien et qu’elle n’ait pas de problèmes. Nafissatou est la benjamine de six enfants du même couple. Moi, je suis l’aîné de quatre de mêmes père et mère. Nous sommes donc dix. Nafissatou ne pense qu’à ses frères de mêmes père et mère qu’elle. Mais cela, c’est l’Afrique, on la comprend." Siddy fronce les sourcils, réprime une montée d’adrénaline. 

la famille de Nafissatou Diallo
"Etes-vous au courant que votre sœur a des problèmes aux Etats-Unis, là où elle travaille ?", hasarde le Moutard Bah de RFI [Moctar Bah, le correspondant de RFI en Guinée]. Réponse de Siddy : "Non ! C’est vous qui nous l’apprenez. Je vous ai dit qu’elle n’a aucun contact avec le village. Nous n’avons pas de ses nouvelles. Il y a quelques années, lorsque notre papa est décédé, je l’ai appelée de Bissau [capitale de la Guinée-Bissau] pour lui présenter mes condoléances. Lorsqu’elle a décroché, elle a dit que ces numéros de téléphone d’Afrique ne l’enchantaient pas, parce que les gens en Afrique ont trop de temps pour parler, alors qu'elle a trop de boulot à abattre chaque jour aux Etats-Unis, pour gagner dignement sa vie. Cela m’a vexé. Lorsqu’elle a su que c’était moi au bout du fil, elle s’est excusée, mais le mot était parti. Depuis ce jour, j’ai décidé de ne plus l’appeler. Voilà. Alors, elle a un problème là-bas ?" Après que Moctar Bah, sans entrer dans les détails, a dit la situation de Nafissatou à New York, Siddy a lâché, attristé: "Que Dieu aide ma sœur et veille sur tous mes frères et sœurs qui vivent hors de ce village!"

Nafissatou Diallo, nous a expliqué Siddy, est la fille de Thierno Ibrahima et de Néénan Aissatou Diallo. Son père, décédé à 98 ans, était un érudit très versé dans le Coran. "Sa maman se trouve au Sénégal pour des soins. Inutile de me demander son numéro, je ne l’ai pas", avertit Boubacar Siddy Diallo. Mamadou Bhoye Bah, l’aîné de toute la famille, 82 ans, assis, tête baissée, une canne à la main, a suivi toute la scène et a tout entendu. Il lève ses yeux, qui brillent dans un visage fortement marqué par les rides : "J’avais entendu une radio annoncer qu’une femme a eu un problème chez les Blancs, mais je ne savais pas qu’il s’agissait de notre sœur. Maintenant, par vous, je comprends qu’il s’agit d’elle. Nous prions pour elle et compatissons à ses peines. Nous sommes de tout cœur avec elle." 

la mère de Nafi Diallo
Les habitants de Tchakulé vivent dans leur "paradis", loin des politiciens et leurs discours sirupeux, loin de la crise économique qui mine la Guinée, loin des coupures d'électricité et d’eau. Ici, pas de moustiques, il ne fait pas chaud. Ce qui compte, c’est l’agriculture, le Coran, la mosquée. Pour très peu, le commerce. Les marmots de Tchakulé semblent heureux. "Nous n’avons pas de réseau téléphonique. Il nous faut aller loin à pied vers une zone couverte par un des opérateurs. Nous n’avons pas de centre de santé, pas d’école. Un marché se tient ici tous les jeudis, c’est là que nous faisons nos achats. Mais, nous nous sentons très bien dans ce village que nous aimons tant", conclut Boubacar Siddy Diallo.

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