mercredi 18 mai 2011

Et dans le rôle de Sarkozy...

"La Conquête", Quand Nicolas Sarkozy fait son cinéma 
Denis Podalydès entre au panthéon du cinéma français pour être le premier à interpréter un (futur) chef d'Etat en exercice : Nicolas Sarkozy, dans La Conquête. A rôle singulier, entretien particulier.


Il doit filer à 15 h 45. Impérativement. Une répétition à la Comédie-Française l'attend. Puis ce sera un aller-retour sur scène à Amiens, les ultimes réglages du (formidable) Cas Jekyll, qu'il reprend au Théâtre national de Chaillot, les derniers ajouts au scénario qu'il coécrit avec son frère, Bruno, et qu'il tournera à l'été, avant la reprise de L'Avare, à la rentrée, etc., etc., etc. Denis Podalydès n'arrête jamais. Un jour ici, un soir là. Et, pour le moment, dans la peau de l'acteur qui a joué Nicolas Sarkozy dans La Conquête, l'histoire de la campagne, entre 2002 et 2007, du futur président de la République. Un rôle évidemment singulier pour une interview dans laquelle le comédien s'interroge encore sur le personnage Sarkozy.


Du point de vue de l'acteur, en quoi ce rôle était-il particulier?

Plus que le personnage, c'est le scénario qui m'a donné envie. J'ai fait ce film avec un enthousiasme et une gaieté que je n'aurais pas soupçonnés. La vie politique est un formidable réservoir de fictions qui empruntent au western, au polar et à la comédie dramatique. Pour un comédien, un personnage comme Sarkozy est gratifiant à jouer parce qu'il peut être radical, parfois violent et même cruel
Comment avez-vous construit votre interprétation?
J'ai d'abord fait un travail d'enquête sur documents. J'ai vu beaucoup d'images, des spots institutionnels de l'UMP aux films de militants de base. On y voit là un Sarkozy hors représentation, fatigué, solitaire, obéissant. Pour un acteur, c'est formidable, car on entre dans les ombres du personnage. Il y a des moments où je voulais être dans l'exacte ressemblance ; les discours, par exemple, je les ai faits à la respiration près. Et d'autres, notamment les scènes intimes, où j'étais dans l'invention. Dans la vie, j'adore imiter. Je cherche, je travaille, j'essaie. 
Peut-on mettre de côté ses convictions de citoyen lorsqu'on joue Nicolas Sarkozy?
Comme acteur, je tuerais père et mère pour un personnage. Je suis prêt à trahir n'importe quel idéal. Mon travail, c'est de défendre le personnage et de le restituer dans toutes ses contradictions. Je dois le rendre non pas sympathique ou antipathique mais vivant. Le citoyen que je suis n'est jamais affecté par ce que je joue. La cruauté de Sarkozy dans certaines scènes m'amusait follement. Comme un plaisir de jeu enfantin. Que je sois à charge ou à décharge, je m'en fiche. Le jeu d'acteur est, en ce sens, très immoral. Ce type de personnage me permet de fracasser l'enveloppe parfois sage dans laquelle je suis trop souvent enfermé. 
Vous avez écrit à Nicolas Sarkozy. Pourquoi?
Je lui ai écrit pour le rencontrer. Après le film. Il n'était pas question de le faire avant. Je l'ai vu il y a deux mois environ. J'étais curieux de l'homme. J'ai l'intuition que pendant toute la période de la campagne, entre 2002 et 2007, il collait à lui-même. Sans être conscient de son image. Sarkozy se construisait alors comme candidat, et seulement ça. Un acteur aurait mis une distance vis-à-vis de la situation pour la contrôler. Un acteur se maîtrise et s'abandonne en même temps. Sarkozy, lui, se lâchait totalement, sans être, pour autant, dans la représentation comme le fut Mitterrand. Villepin est beaucoup plus acteur. En revanche, le Sarkozy d'aujourd'hui, s'il est de nouveau candidat, sera davantage acteur. 
Ensemble, vous avez parlé théâtre, cinéma...
Cinéma. Il aime beaucoup Dreyer et Hitchcock. Moi aussi, d'ailleurs. Mais depuis plus longtemps, je crois. Cela dit, il en parle très brillamment. Une chose le fascine : le talent. Il distingue les gens en fonction de leur talent, pas de leurs opinions politiques. Ce qui, chez lui, j'imagine, désigne l'élu. C'est une vision de l'humanité très cruelle. Une vision binaire, violente. Sans appel. Pour lui, le monde ne se partage pas entre gauche et droite mais entre "du talent" et "pas de talent". Et, en même temps, c'est un homme obsédé par la trace qu'il va laisser. Il ne correspond plus du tout au personnage de La Conquête qui, lui, est totalement dans le présent. 
Vous-même, depuis quelques années, vous êtes en pleine conquête. On vous voit partout : cinéma, théâtre, télévision...
Si j'ai conquis quelque chose, ce n'est pas le pouvoir. La Comédie-Française m'a offert des rôles qui ont eu un succès public et, aujourd'hui, je suis plus à l'aise sur un plateau. J'ai longtemps été un comédien entravé par des angoisses et peu à peu mon plaisir de jeu s'est accru. Il y a une certaine part de chance aussi. Mais pas uniquement. Il y a également du travail. Je vais atteindre 50 ans et je vois arriver des personnages pour lesquels je devrai remettre l'ouvrage sur le métier. 
Un comédien a-t-il forcément besoin de reconnaissance?
Oui. Chez un acteur, il y a le cabot, le chien qui bondit sur une table et dit "regardez comme j'existe et aimez-moi", et puis le type plus laborieux, moins exposé, qui travaille. C'est Jekyll et Hyde. Enfant, j'étais à la fois timide et dans la représentation excessive. Mais je préférais la sobriété, mon côté versaillais sans doute. J'adorais Trintignant. Un acteur de la réserve. Mais aussi Depardieu et Dewaere. Qui ont inventé une autre façon d'être naturel. Ils ont balayé tout le monde. Comme Delon et Belmondo en leur temps, qui ont dégommé tous les jeunes premiers venus du théâtre notamment. 
Et aujourd'hui?
› Il y a Romain Duris, acteur très brillant. Egalement Jean Dujardin, qui possède un humour d'acteur prodigieux. Ce qui lui a donné une grande force dramatique. 
Revenons au film. Vous dites que la vie politique se "fictionnalise". N'est-ce pas dangereux?
Si, bien sûr. L'homme ou la femme politique est là pour gouverner et pour prendre des décisions. D'ailleurs, la force satirique de La Conquête, c'est de pointer l'inféodation de la politique au monde médiatique. Ce qui est catastrophique. Sarkozy a lui-même conscience de ce Barnum. Mais le film n'est pas à charge. Ni à décharge, j'espère. Je ne souhaiterais pas qu'il soit apologétique. 
Avec le recul, était-ce vraiment une expérience singulière?
Oui, mais au même titre que de jouer Jean-Paul Sartre. Singulière, par le plaisir que j'y ai pris. Sans doute aussi parce que je n'avais pas conscience, au moment du tournage, de l'énorme écart entre ce que j'ai fait et la façon dont le film est attendu et va être reçu. 
Vous dites cela parce que vous imaginez qu'un tel rôle peut avoir des conséquences sur votre carrière?
Je n'en sais rien. Je me suis posé la question, c'est vrai. Ce rôle va-t-il se retourner contre moi ? Je ne crois pas. Pas jusqu'à présent en tout cas. Ni dans ma vie de comédien, ni dans ma vie de citoyen.

SYNOPSIS:La Conquête est un film biographique de Xavier Durringer qui parle de l'ascension au pouvoir de Nicolas Sarkozy, de sa nomination au poste de ministre de l'Intérieur en 2002 jusqu'à son élection à la tête de l'État français en 2007. Le tournage a commencé en août 2010 et le film sortira en salles en mai 2011.

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